Wednesday, August 20, 2014

Le Bariton des Montagnes


Sur la route nationale #1,  à la sortie de la ville des Gonaïves, une foule imposante  offre un spectacle culturel sans pareil à la veille de la fête des Pâques. Ayant été longtemps privée du plaisir d'entendre, ne serait-ce que de loin, les échos des réjouissances auxquelles se livre le peuple de mon pays au cours de toute la semaine dite sainte, je ne me sens nullement dérangée par ce qui s'annonce: Un groupe d'hommes et de femmes,  bouillant d'énergie, portant la gamme de toutes les couleurs les plus éclatantes, dansent et chantent accompagné d'une musique forte, dominée par le tambour et des instruments à vent .
Le jeu de couleur m'envahit. Je ferme les yeux et je le revois vivant. Cela m'amuse. Je ferme, rouvre et referme. J'invite les enfants à faire de même mais ce n'est pas ce qui les intéresse. Les instruments fascinent Tina et Taly.  Tu ne nous as jamais dit que les musiciens des" bandes de raras" inventent leur propres instruments, s'exclame Taly;  Wow! Marijo aurait du être avec nous pour voir ca!  Regarde ces " sortes de trompettes"!  Et ce gros instrument qui produit ce son grave on l'appelle comment Manmy? Moi aussi je suis  fascinée de revoir et d'entendre le bambou.  Cet instrument a toujours eu le pouvoir de me donner l'envie de danser. J'aime  le son grave et le rythme inhérent à ce son; J'adore  la façon inexplicable qu'ont les instrumentistes de scander ces notes qui pour moi viennent d'abord du fond de leur gorge.  Sans attendre ma réponse, Taly change d'intérêt : regarde cette file de femmes qui   soulèvent leur jupe pour montrer leur culotte de satin! Ce qu'elles font c'est ce que tu appelles "roulade" Manmy? Non Tina, cela s'appelle "grouyad". Regarde bien comment elles s'y prennent. C'est comme quand tu fais le houlahoup, dit Mélodie. Non chérie c'est plus profond et plus sérieux dis-je .  La musique prend un autre niveau avec un nouveau roulement  de tambour impressionnant  suivi d'une voix forte chantant : BANDA E..E... BANDA ALE LAKAYE .  Toute la bande poursuit en choeur: VOYE RELE BANDA..POU MWEN..BANDA ALE LAKAYE. Mon fils jusque là silencieux demande qu'on arrête la voiture. Son père refuse mais comme pour répondre au désir de l'enfant la bande  nous encercle  obligeant le chauffeur à s'arrêter. Un groupe de dames portant  de beaux et larges chapeaux pareils à ceux que l'on voit dans les grands magasins de Brooklyn ainsi que  des culottes rouges  de la même marque entreprend d'exécuter un show de déhanchements dédié au chauffeur .   Mon invitation à analyser les profits que doivent avoir faits celui ou celle qui a obtenu le contrat de confection de toutes ces culottes et de ces chapeaux ne semble intéresser personne.  De toute façon, ma voix n'a aucune chance de surpasser la musique. Dans la voiture on est silencieux, admiratif!
Le drapeau flotte. L'odeur du clairin monte et fait la compétition à celle forte et âpre de la sueur collective de cette bande en transe.  De ce mélange de couleurs, de grondement de tambour et de roulement de hanches de femmes fessues se détache la voix du bariton des montagnes qui, les yeux fermés, les bras ouverts, continue de  réclamer à tue tête qu'on lui ramène Banda de l'Arcahaie.  Et mon fils de me dire en me tirant tendrement à l'arrière par les cheveux : Manmy, tu ne nous avais pas dit que c'était aussi beau en Haïti!

ljc, Petionville, Haiti.

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UN MOMENT SPECIAL.....



La salle est comble; le maître de cérémonie m'annonce; je tremble de tous mes membres. Au bord des larmes j'entre en scène sous les applaudissements du public. Je cherche du regard un visage familier et repère ceux de mes enfants tous assis en première loge. Nathalie me sourit et je lui rends son sourire. Je prends ma guitar, la caresse doucement juste pour etablir le contact et sentir sa chaleur puis je me lance dans une interprêtation de la chanson d'Anne Murray:
"When you are down and troubled
And you need some love and care
And nothing, nothing is going right
Close your eyes and think of me
Soon I will be there
To brighten up even your darkest night"

Je joue avec aisance oubliant complètement ma difficulté à bien executer les accords barrés. Entre ma guitar et moi la symbiose est parfaite, ma voix s'élève, claire, tendre et nette, sans lutte, mon diaphragme completement coopératif. A la fin du morceau, le public chante avec moi les dernieres notes " You have a friend ". je suis tout à fait pleine de confiance en moi-même et sans attendre le maitre de cérémonie j'annonce moi meme la prochaine chanson : Viejo de Jean Claude Martino interpreté par Emmeline Michel aussi. L'accompagnement est compliqué mais mes mains impatientes entament bien vite en la mineur. Je ne suis plus moi-meme , je m'entends chanter , je me vois jouer. Mon auriculaire habituellement rebelle lors de ce passage special en solo accentuant le message du viejo sur le montant de l'argent qu'il veut envoyer à sa femme " Se yon diez pesos", cet auriculaire s'exécute avec grâce et dextérité. A la dernière partie du morceau , je crois entendre mon professeur de musique me dire Lunise l'index et l'auriculaire vont sauter tour a tour et ta voix va entrainer ton public qui est deja avec toi. J'aborde ce passage dangereux avec fermeté; je vois mon public se lever et je l'entends d'une seule voix cadencer le plaidoyer de la femme du viejo:

" Kouzen wa pot manchet pou koupe bayawonn woy".
"Kouzen wa pot manchè pou koupe move zèb woy"
Wa pote manchet, wa pote manchet....Woy kouzen....

Je ne suis plus une chanteuse, je suis une guitariste, heureuse de reprendre son rêve. Le public applaudit sans arrêt et commande une autre chanson. Sans trop fouiller dans ma mémoire, une qui a le don de toujours m'arracher une larme s'impose à moi: Souvent, Longtemps, Enormément de Diane Tell; cette chanson sort de mes tripes et mes doigts obéissent à une commande. C'est fou de chanter avec toute cette belle assistance le refrain de la chanson sans cette fois-ci aucune note de tristesse:

" Moi j'ai aimé plus souvent,
Aimé longtemps puis énormément
Mais je les ai tous perdus
Car comment aimer je n'ai jamais su." 
En guise d'applaudissement, j'entends soudain une publicité de Tonton Bicha... ....J'ouvre les yeux et me retrouve au beau milieu de mon lit.  

Nullement déçue j'entame ma journee, en chantant, convaincue que mon histoire d'amour avec la musique ne fait que commencer.


Lunise Jules

A Ton Réveil


Des soleils et des lunes
Se sont levés
Puis assoupis
Désespérés de ne pouvoir
Ebranler ton ciel endormi 

Des éclats de rire et des sanglots
Se sont heurtés
Sans merci
Puis se sont courbés
Pour saluer ton rempart

Les pas de la cohue
Ont refroidi
Ta plage déserte
Les vagues tricheuses
Ont emporté tes larmes

Mais l’ombre de ton réveil
Fragilise déjà 
L’agitation et le tumulte
Jusqu’ici vainqueurs
De ta raison et de ta foi
  
Tout au fond de toi
L’aube s’impatiente
De s’unir au midi
Sans souci du marasme fatigué
D’avoir trop longtemps régné

A l’honneur de ton renouveau
La brise  te promet 
Une chanson nouvelle
Et la terre

La douceur de ton cœur d’enfant.

-Lunise 

Je ne veux plus dormir à la belle étoile

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Je ne veux plus dormir à la belle étoile
La nuit trop intelligente risque de comprendre
La lune trop attachante risque de voir mon âme
Je ne veux plus dormir à la belle étoile
L’amitié du crépuscule me ravit mon refuge
L’obscurité apprivoisant mes sens défie mon intimité
Je ne veux plus dormir à la belle étoile
Le sourire de la nuit perd tout son sens
Quand mon regard fend l’obscurité et croise le sien
Je ne veux plus dormir à la belle étoile.
La complicité des ténèbres met en fuite mon rêve
Elle le rend jaloux et paralyse mes étoiles
Je ne veux plus dormir à la belle étoile
Jouir sans partage de cette fulgurante beauté
Alourdit les pas de ma nuit et coupe ses ailes au temps

- Lunise

Sunday, August 10, 2014

De la Terre Au Ciel!


Ce matin-là j'eus du mal à me réveiller. J'avais les les chevilles comme verrouillées et un vertige naissant .  Pourtant rester chez moi  était hors de question en raison de tout ce qu'il y avait à faire en cette dernière semaine de l'année fiscale. Je dus donc me secouer un peu pour me rendre au bureau.   Au milieu de la journée, je n'allais toujours pas  bien.  Une autre tasse de café aurait du aider mais cette fois-ci doubler ma dose de caféine refusa de marcher pour moi. Pire, je sentais venir une migraine sous forme de lancements intermittents au niveau de la tempe gauche. Je n'étais  pas du tout  d'aplomb alors que j'avais à participer dans une heure  à une séance d' évaluation annuelle  de ma performance conduite par  mon superviseur immédiat qui devait reprendre l'avion pour le bureau régional à Honduras tout de suite après la rencontre, le même jour.
Pour me détendre un peu et faire bonne figure au cour de cette rencontre importante, je décidai de sortir  et de marcher un peu dans le quartier pour quelques minutes.  Ce n'était  pas une mauvaise idée que d'aller dépenser un peu d'énergie et en gagner aussi en marchant.  Je commençai ma petite session de marche tout en  respirant volontairement .  Fort heureusement le quartier  est  en général assez propre et la journée n'était pas très ensoleillée. Je trouvai fort agréable l'odeur qui s'échappait des cuisines cachées derrière des murs géants.  J'étais contente de voir nos voisins et d'être témoin de cette vie autrement active tout autour de nous alors que nous étions  enfermés dans notre bureau à nous concentrer sur des entrées et des dépenses, des rapports de fin de mois, des visites et des rencontres de suivi de projets et de programmes.

En m'approchant de l'une des maisons, je fus accueillie par les éclats de rire d'un groupe d'enfants. Arrivée à leur hauteur, je m'arrêtai  et pus voir à travers une grille qu'ils jouaient  à la marelle.  C'était le tour d'une petite fille :   légère elle parcourait les carreaux sans faillir du début presqu'à la fin. Il y avait si longtemps que je n'avais pas vu ca !  C'était mon jeu préféré du temps de mon enfance . Ces enfants y prenaient autant de plaisir que nous quand nous avions leur âge mes frères, mes sœurs, mes cousins et moi. J'étais particulièrement bonne à ce jeu auquel se prêtaitent bien notre cour, celle de l'école, les trottoirs de la rue 16 D-E  les grands espaces de la place publique en face de la cathédrale du Cap. Partout on pouvait voir ces carrés tracés par des mains habiles d'enfants. En partant de la" Terre" les trois premiers degrés étaient faciles et invitaient à courir ou à marcher suivant son humeur. A partir de 4 et 5 , cela devenait plus compliqué ; il fallait viser  juste et ne pas rater son cible en projetant  le palet (un objet léger ou plat )  exactement dans l'espace approprié et aussi et surtout faire une partie du parcours sur un pied sans perdre son équilibre jusqu'à parvenir "Au Ciel". Dans ma petite tête d'enfant, rater le ciel était comme rater le paradis ou le bonheur à l'avenir. C'était comme une prédiction.  Je m'évertuais donc à toujours gagner le ciel, et ce moment  était pour moi spécial, c'était l'extase.  Je sautais toujours les yeux fermés et les bras en l'air en criant "Ciel!!!!  Maintenant  je me rends compte que c'était faire un voyage  au ciel sans passer par la mort!

Ma migraine était complètement partie.  J'avais une envie folle de me joindre à eux mais j'étais embarrassée de le  leur demander . Remarquant que la barrière était ouverte, je fis mine de l'ouvrir et l'une des filles s'avança et me dit: Vous travaillez  en face, on vous voit chaque jour; j'en profitai donc pour lui faire ma requête de participation. " La marelle est ...non.... était mon jeu préféré, lui dis-je.   Deux adolescents assis un peu plus loin éclatèrent  de rire, me ramenant soudainement à la réalité .  ... trop vieille pour jouer, et si je tombais  et me cassais la jambe?  Alors me vint à l'esprit  l'une de mes aventures liées à la marelle qui me fit éclater de rire à la grande surprise des enfants.  Une fois, en revenant de l'école, mes camarades  et moi, rien que des garçons, décidâmes de nous arrêter en route pour jouir d'une forme de marelle découverte sur le pavé.  Je partis la première .  Très vite  je perdis l'équilibre  en récupérant le palet  avant de poursuivre pour la case précédente en sautant sur un pied.  Je m'étalai de tout mon long sur le trottoir, la jupe en l'air me livrant complètement en spectacles aux garçons qui n'arrêtaient pas de rire.  En me relevant, pour cacher ma honte, je piquai une crise de colère mémorable au point de foncer sur celui qui riait le plus ,oubliant  qu'il était costaud et plus vieux alors que moi je ne faisais pas honneur à mes 10 ans. Il n'avait même pas besoin de me frapper en retour .  Je me heurtai violemment contre le colosse qui ne bougea pas d'un pouce tandis que moi, je rebondis en arrière atterrissant une nouvelle fois sur le pavé.  Je me relevai furieuse et partis sans mon sac d'école que j'oubliai par terre dans un coin.  Il me fut rapporté plus tard par mes cousins Jean et David ". Je m'imagine  que ce garçon  doit être aujourd'hui enrôlé dans une armée fonctionnelle quelque part dans le monde.

La petite me fit sortir de mon rêve en me prenant le bras.  Encouragée, je chassai l'idée sombre d'incapacité  et me lançai à l'aventure à la barbe des deux jeunes adolescents moqueurs au début mais admiratifs de mon agilité plus tard. Heureusement que je garde encore mes longues jambes!  Un premier tour, un deuxième tour...Les enfants ne me faisaient pas de cadeau.  J'étais ivre de bonheur . J'encourageai même les garçons à nous rejoindre ( un souci constant d'integration des genres...) augmentant ainsi le nombre des participants, multipliant aussi les rires et boutades.   Au troisième tour je pus arriver jusqu'au Ciel ! Ciel !Ciel ! ....Quand je m'arrêtai : OOPS! l'heure de mon rendez-vous avec mon superviseur était passée depuis plus d'une heure...sur mon téléphone, il y avait 10 appels en absence en provenance  du bureau.

Ljc,Petionville Haiti