Sur la route nationale #1, à la sortie de la ville des Gonaïves, une
foule imposante offre un spectacle
culturel sans pareil à la veille de la fête des Pâques. Ayant été longtemps
privée du plaisir d'entendre, ne serait-ce que de loin, les échos des réjouissances
auxquelles se livre le peuple de mon pays au cours de toute la semaine dite
sainte, je ne me sens nullement dérangée par ce qui s'annonce: Un groupe
d'hommes et de femmes, bouillant d'énergie,
portant la gamme de toutes les couleurs les plus éclatantes, dansent et chantent
accompagné d'une musique forte, dominée par le tambour et des instruments à
vent .
Le jeu de couleur m'envahit.
Je ferme les yeux et je le revois vivant. Cela m'amuse. Je ferme, rouvre et
referme. J'invite les enfants à faire de même mais ce n'est pas ce qui les intéresse.
Les instruments fascinent Tina et Taly.
Tu ne nous as jamais dit que les musiciens des" bandes de raras"
inventent leur propres instruments, s'exclame Taly; Wow! Marijo aurait du être avec nous pour voir
ca! Regarde ces " sortes de
trompettes"! Et ce gros instrument
qui produit ce son grave on l'appelle comment Manmy? Moi aussi je suis fascinée de revoir et d'entendre le
bambou. Cet instrument a toujours eu le
pouvoir de me donner l'envie de danser. J'aime
le son grave et le rythme inhérent à ce son; J'adore la façon inexplicable qu'ont les
instrumentistes de scander ces notes qui pour moi viennent d'abord du fond de
leur gorge. Sans attendre ma réponse, Taly
change d'intérêt : regarde cette file de femmes qui soulèvent leur jupe pour montrer leur culotte
de satin! Ce qu'elles font c'est ce que tu appelles "roulade" Manmy?
Non Tina, cela s'appelle "grouyad". Regarde bien comment elles s'y
prennent. C'est comme quand tu fais le houlahoup, dit Mélodie. Non chérie c'est
plus profond et plus sérieux dis-je . La
musique prend un autre niveau avec un nouveau roulement de tambour impressionnant suivi d'une voix forte chantant : BANDA
E..E... BANDA ALE LAKAYE . Toute la
bande poursuit en choeur: VOYE RELE BANDA..POU MWEN..BANDA ALE LAKAYE. Mon fils
jusque là silencieux demande qu'on arrête la voiture. Son père refuse mais
comme pour répondre au désir de l'enfant la bande nous encercle obligeant le chauffeur à s'arrêter. Un groupe
de dames portant de beaux et larges
chapeaux pareils à ceux que l'on voit dans les grands magasins de Brooklyn
ainsi que des culottes rouges de la même marque entreprend d'exécuter un
show de déhanchements dédié au chauffeur .
Mon invitation à analyser les profits que doivent avoir faits celui ou celle
qui a obtenu le contrat de confection de toutes ces culottes et de ces chapeaux
ne semble intéresser personne. De toute
façon, ma voix n'a aucune chance de surpasser la musique. Dans la voiture on
est silencieux, admiratif!
Le drapeau flotte. L'odeur du clairin monte et fait la compétition
à celle forte et âpre de la sueur collective de cette bande en transe. De ce mélange de couleurs, de grondement de
tambour et de roulement de hanches de femmes fessues se détache la voix du bariton des montagnes qui, les yeux fermés, les bras ouverts, continue de réclamer à tue tête qu'on lui ramène Banda de
l'Arcahaie. Et mon fils de me dire en me
tirant tendrement à l'arrière par les cheveux : Manmy, tu ne nous
avais pas dit que c'était aussi beau en Haïti!
ljc, Petionville, Haiti.source |