Friday, August 11, 2017

THOMASSIQUE...Un Cri Fend La Nuit

      Je suis à Thomasique pour deux jours et demi dans le cadre de mon travail.  Thomassique un beau nom pour un beau village. Ce n’est pas loin du prénom de mon père. Il y a vécu en fait, il a grandi dans la zone et en parlait souvent de son vivant. Ses parents y possédaient des lopins de terre, je crois, mais je n’en sais rien à part que la zone fait partie de l’enfance du premier homme de ma vie, mon père.  Honnêtement je préfèrerais être à Port-au-Prince en cet instant précis, chez moi. Mon environnement me manque et je ne me sens pas le courage de faire face, plus tard, à la nuit sans électricité.
   
      Dans la cour de l’église baptiste où se trouve aussi la maison du pasteur qui nous héberge,  des gens viennent collecter de l’eau fraiche d’une  fontaine implémentée à cet effet.  Ils parlent de deux jumeaux de deux ans atteints de choléra. La maman vient juste de passer, hâtant le pas vers l’hôpital où ses enfants sont en train d’être soignés .   Elle ne peut rien contre le choléra mais sa présence, ses prières en leur faveur doivent certainement être d’un apport sublime.  L’une des voisines lance un commentaire qui me secoue un peu : Ah ! lap mennen konba sa pou kont li ! Nèg la ap anmize li ! Qu’en savent-ils, me dis-je ! Chacun a sa façon d’exprimer la douleur. Certains prennent la fuite. Un autre commentaire se charge d’éclairer ma lanterne : Si li pèdi timoun sa yo….li tou pèdi tout bagay paske fanm nèg la fèk akouche yon pitit gason.  M te pale ak manman jimo yo ayè, li di m Bondye pap kite l pèdi batay sa. 
   
     Cette conversation ajoute une tonne d’émotions à l’atmosphère pourtant sereine. La brise généreuse n’arrête pas de faire pencher les feuilles de l’arbre sous lequel je me tiens et j’éprouve un plaisir infini à les laisser me caresser le visage et les épaules nues.  Je déserte volontiers cette provision de félicité passagère pour me laisser aller à imaginer la vie de cette maigre femme que je viens de voir passer. Comme si être pauvres et avoir deux enfants atteints d’une maladie stigmatisante, dont on ne guérit que par miracle dans une zone dépourvue de services adéquats, n’était pas une charge suffisante ; il faut aussi  que l’éventualité de la guérison ou de la perte des fruits de ses entrailles soit  un élément d’une lutte consacrant le pouvoir social immense qu’elle et tous ceux qui croient et pensent comme elle confèrent à l’homme haïtien. Elle devrait se retirer de ce cinéma et changer sa vie…Si seulement elle le pouvait !

    On se couche tôt à Thomassique.  Très vite dans le soir, je vois les lueurs des petites lampes mourir et les fenêtres se fermer. Je rentre dans ma chambre,  m’étends sur le lit, souhaitant m’endormir le plus vite possible.  Un cri, soudain, fend la nuit. Le sujet de la  conversation du début de la soirée pénètre la chambre avec lui et emplit tout l’espace.  J’arrête de respirer.

    Le cri  s’élève à nouveau, plus long cette fois-ci.  Allongée sur le lit, j’imagine les petits corps froids des enfants. La fusée sonore parcourt le village et le domine durant une bonne partie de la nuit. Je ne pas lutte pas contre elle. Je l’accepte.  Je pleure aussi sur moi.  Je porte en moi tout une cargaison de tristesse qui ne demande pas mieux que d’accueillir cette contribution à l’expression de la peine.  Je pleure en silence. Je ne suis pas chez moi.  Je maudis la MINUSTAH porteuse de ce fléau. Je déplore  notre système de santé moribond. Je maudis les politiciens. Je condamne tout ce qui est condamnable incluant ma propre personne à cause de mon impuissance face à toute cette précarité. Combien d’enfants subissent comme  moi le tourment de ce cri perçant dans la nuit et savent que l’un d’entre eux vient de mourir. Combien de mères sont en train de chercher leurs mots pour expliquer à leurs enfants que le diable choléra ne les emportera pas aussi dans sa fureur contre le village ?  Fatiguée, la voix devient de plus en plus faible puis s’éteint dans la nuit. Je m’ endors épuisée.

     Le lendemain matin,  je me lève tôt pour m’enquérir des nouvelles de la famille. Un petit groupe de trois est sur la cour.  Je m’approche de mon hôte et lui dit :  La dame a perdu le combat.  Ah me dit-il, manmzèl se yon gwo foutbolè. Li drible tout moun !  J’ai bien entendu sa remarque mais tellement  certaine de la mort des enfants, je poursuis sans m’attarder sur sa phrase. C’est malheureux de voir mourir des enfants mais  …quel choix a-t-elle fait lui dis-je, me reprenant bien vite ?   Ils ne sont pas morts, elle est morte.  Rentrée de l’hôpital hier soir,  elle s’est  couchée et s’en est allée. Fatiguée de mener tant de batailles, elle a choisi une autre voie. Et les enfants dis-je, à l’hôpital entrain de recevoir des soins. A-t-elle choisi ?  

Lunise Jules
Août 2011

Monday, July 24, 2017

Pluie d’hibiscus


Il a plu des hibiscus
sur mon toit ce soir
je les ai sentis se glisser
sur mon front abimé
avant même d’échouer
sans bruit sur mes genoux
ils étaient déjà flétris
pour avoir tant donné
de leur éclat ils ont balayé
l’ombre sur mon chemin
transformé mon rictus
en une fleur à partager
Il a plu des hibiscus

sur mes genoux, ce soir.

Saturday, June 17, 2017

Sans Titre

La douleur ne s’éteint pas douleur
La colère ne meurt pas colère
Ma folie a conscientisé ma raison
Et me voilà hors du labyrinthe

Les larmes sont autant filles et fils
De la joie que de la peine
La vie prend feu
Et nous mourrons à sa place
Le feu en moi s’est fait complice de la nuit
Et me voilà libre de rêver

Le sommeil a ses moments de veille
Le doute et la recherche sont siamois
L’amour m’a ouvert son cœur
Et me voilà engagée dans la course
Le présent est toujours nouveau
Le réveil est un don
Deux enfants ont comblé ma journée
Et me voilà amoureuse de la vie !

Lunise Jules

06.17.17

Sunday, March 5, 2017

Tristesse on m’appelle

Tristesse on m’appelle
Je vois naître et fais naître des fleurs et
De grâce ne mettez pas en doute mon talent

Si en votre âme mon dépôt de suie
Témoigne du passage d’un feu fou
Victime de sa propre chaleur
Il n'y a pas effacé la lumière

Ne m'abandonnez pas
Je vous prie
Nous sommes si bien si vrais ensemble
Restez quand même
la transhumance parait une commande
Ne croyez pas aux avances de l’estive frivole
La remue est si souvent passeuse de fausses allégresses
Honorez plutôt la convocation magique des éclaircies
Et l’audace des courants d'eau qui pour vous changent de lit

On m'appelle tristesse
Je transforme le grain de poussière marchand de larmes en perles précieuses
Ne bousculez pas ma compagnie
Nous sommes si bien si vrais ensemble


Lunise Jules, March 5,2017

Thursday, February 2, 2017

Mon pays

Des larmes miracles font la fête
Sur la montagne érodée rendue
Stérile à regret par des enfants perdus
La montagne fiévreuse
Accoucheuse de misères
Toute ramollie d’amour humide
Se laisse disparaitre
Par gouttes épaisses
Offrant dans leurs chutes
A chaque pierre frivole
Une accolade
Jouisseuse de nudité

Des larmes fatales font la tête
Aux cimes édentées
Pour ne pas pouvoir faire la fête
Mon pays pourra-t-il un jour
Se laver à sa propre rivière
Viendra-t-il pour lui le temps de
braver son miroir
Pleurer ses défaites
Lancer sa propre bande de raras
Se déhancher de ses propres tours de reins
Déserter l’ile qu’elle ne veut plus être
Entreprendre d’être l’ile de ses rêves

Des larmes miracles te font la fête
montagne abusée laisse-toi embrasser
Du baiser qui botte son cul à la nuit noire

Feb.2.2016

De l’Orient d’Athène