Ce matin-là j'eus du mal à me réveiller. J'avais les les chevilles comme verrouillées et
un vertige naissant . Pourtant rester
chez moi était hors de question en
raison de tout ce qu'il y avait à faire en cette dernière semaine de
l'année fiscale. Je dus donc me secouer un peu pour me rendre au bureau. Au
milieu de la journée, je n'allais toujours pas
bien. Une autre tasse de café
aurait du aider mais cette fois-ci doubler ma dose de caféine refusa de marcher
pour moi. Pire, je sentais venir une migraine sous forme de lancements
intermittents au niveau de la tempe gauche. Je n'étais pas du tout d'aplomb alors que j'avais à participer dans
une heure à une séance d' évaluation
annuelle de ma performance conduite par mon superviseur immédiat qui devait reprendre l'avion
pour le bureau régional à Honduras tout de suite après la
rencontre, le même jour.
Pour me
détendre un peu et faire bonne figure au cour de cette rencontre importante, je
décidai de sortir et de marcher un peu
dans le quartier pour quelques minutes.
Ce n'était pas une mauvaise idée
que d'aller dépenser un peu d'énergie et en gagner aussi en marchant. Je commençai ma petite session de marche tout
en respirant volontairement . Fort heureusement le quartier est en
général assez propre et la journée n'était pas très ensoleillée. Je trouvai fort agréable l'odeur qui s'échappait des cuisines cachées derrière des murs géants. J'étais contente de voir nos voisins et d'être
témoin de cette vie autrement active tout autour de nous alors que nous étions enfermés dans notre bureau à nous concentrer sur des entrées et des dépenses, des rapports de fin de mois, des
visites et des rencontres de suivi de projets et de programmes.
En
m'approchant de l'une des maisons, je fus accueillie par les éclats de rire d'un
groupe d'enfants. Arrivée à leur hauteur, je m'arrêtai et pus voir à travers une grille qu'ils jouaient à la marelle. C'était le tour d'une petite fille : légère
elle parcourait les carreaux sans faillir du début presqu'à la fin. Il y avait si longtemps que je n'avais pas vu ca ! C'était mon jeu préféré du temps de mon
enfance . Ces enfants y prenaient autant de plaisir que nous quand nous avions
leur âge mes frères, mes sœurs, mes cousins et moi. J'étais particulièrement bonne à ce jeu auquel se prêtaitent bien notre cour, celle de l'école, les
trottoirs de la rue 16 D-E les grands espaces de la
place publique en face de la cathédrale du Cap. Partout on pouvait voir ces
carrés tracés par des mains habiles d'enfants. En partant de la" Terre" les
trois premiers degrés étaient faciles et invitaient à courir ou à marcher
suivant son humeur. A partir de 4 et 5 , cela devenait plus compliqué ; il fallait
viser juste et ne pas rater son cible en
projetant le palet (un objet léger ou
plat ) exactement dans l'espace approprié
et aussi et surtout faire une partie du parcours sur un pied sans perdre son équilibre
jusqu'à parvenir "Au Ciel". Dans ma petite tête d'enfant, rater le ciel était
comme rater le paradis ou le bonheur à l'avenir. C'était comme une prédiction. Je m'évertuais donc à toujours gagner le
ciel, et ce moment était pour moi
spécial, c'était l'extase. Je sautais
toujours les yeux fermés et les bras en l'air en criant "Ciel!!!! Maintenant je me
rends compte que c'était faire un voyage au
ciel sans passer par la mort!
Ma migraine était complètement
partie. J'avais une envie folle de me
joindre à eux mais j'étais embarrassée de le leur demander . Remarquant que la barrière était
ouverte, je fis mine de l'ouvrir et l'une des filles s'avança et me dit: Vous travaillez en face, on vous voit chaque jour; j'en
profitai donc pour lui faire ma requête de participation. " La marelle est ...non.... était mon jeu préféré, lui dis-je. Deux
adolescents assis un peu plus loin éclatèrent de rire, me ramenant soudainement à la réalité
. ... trop vieille pour jouer, et si je tombais et me cassais la jambe? Alors me vint à l'esprit l'une de mes aventures liées à la marelle qui me fit éclater de rire à la grande surprise des
enfants. Une fois, en revenant de l'école, mes camarades et moi, rien que des garçons, décidâmes de
nous arrêter en route pour jouir d'une forme de marelle découverte sur le pavé. Je partis la première . Très vite je perdis l'équilibre en récupérant le palet avant de poursuivre pour la case précédente en
sautant sur un pied. Je m'étalai de tout
mon long sur le trottoir, la jupe en l'air me livrant complètement en
spectacles aux garçons qui n'arrêtaient pas de rire. En me relevant, pour cacher ma honte, je
piquai une crise de colère mémorable au point de foncer sur celui qui riait le
plus ,oubliant qu'il était costaud et
plus vieux alors que moi je ne faisais pas honneur à mes 10 ans. Il n'avait même
pas besoin de me frapper en retour . Je
me heurtai violemment contre le colosse qui ne bougea pas d'un pouce tandis que
moi, je rebondis en arrière atterrissant une nouvelle fois sur le pavé. Je me relevai furieuse et partis sans mon sac
d'école que j'oubliai par terre dans un coin.
Il me fut rapporté plus tard par mes cousins Jean et David ". Je
m'imagine que ce garçon doit être aujourd'hui enrôlé dans une armée
fonctionnelle quelque part dans le monde.
La petite me fit sortir de mon
rêve en me prenant le bras. Encouragée,
je chassai l'idée sombre d'incapacité et
me lançai à l'aventure à la barbe des deux jeunes adolescents moqueurs au début
mais admiratifs de mon agilité plus tard. Heureusement que je garde encore mes
longues jambes! Un premier tour, un
deuxième tour...Les enfants ne me faisaient pas de cadeau. J'étais ivre de bonheur . J'encourageai même les garçons à nous rejoindre ( un souci constant d'integration des genres...) augmentant ainsi le nombre des participants, multipliant aussi les rires et boutades. Au troisième tour je pus arriver jusqu'au
Ciel ! Ciel !Ciel ! ....Quand je m'arrêtai : OOPS! l'heure de mon rendez-vous avec mon superviseur
était passée depuis plus d'une heure...sur mon téléphone, il y avait 10 appels
en absence en provenance du bureau.
Ljc,Petionville Haiti